Le désengagement traditionnel et la révolution silencieuse de l’engagement politique des jeunes
- matthieuclzd
- 21 sept. 2024
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La participation politique des jeunes en France a évolué de manière significative au cours des dernières décennies. Les taux de participation électorale ont décliné, tandis que de nouvelles formes d’engagement politique, souvent non institutionnelles, ont émergé. Si les jeunes votent moins, cela ne signifie pas qu’ils se désintéressent de la politique. Selon une enquête réalisée par l'INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) en 2021, près de 60 % des jeunes âgés de 18 à 29 ans déclarent être « intéressés par la politique », mais seulement 28 % d'entre eux participent régulièrement aux élections. Ce contraste met en lumière une transformation des modes de participation politique chez les jeunes.
Les raisons de ce désengagement électoral sont multiples : défiance à l’égard des institutions politiques, sentiment que les élus sont déconnectés des réalités des jeunes, ou encore la perception que le vote n’est pas un moyen efficace de faire entendre sa voix. En parallèle, de nombreuses formes de participation politique non conventionnelles ont émergé, comme les manifestations de masse, le militantisme en ligne, et l’engagement dans des causes humanitaires ou environnementales. Ces nouvelles formes de participation témoignent d’une redéfinition de la citoyenneté et d’une réorientation de l’action politique vers des canaux alternatifs, plus en phase avec les préoccupations immédiates des jeunes.
Cet article propose d’explorer les causes du désengagement électoral des jeunes, tout en mettant en lumière l’émergence de nouvelles formes d’engagement. L’hypothèse centrale est que le désintérêt des jeunes pour les formes de participation politique traditionnelles ne traduit pas un désengagement général, mais une réorientation vers des pratiques plus directes et moins institutionnelles. Nous nous appuierons sur des études françaises telles que celles de l'INJEP, du CEVIPOF, et d'autres enquêtes académiques pour analyser cette dynamique.
Le désengagement politique traditionnel des jeunes
Historique de la participation électorale chez les jeunes
Les jeunes ont historiquement participé moins aux élections que les générations plus âgées. Les élections présidentielles et législatives de 2017 ont confirmé cette tendance : selon l’INJEP, 52 % des jeunes de 18 à 24 ans se sont abstenus lors du second tour des élections législatives, contre 35 % de l'ensemble de la population. De manière similaire, lors des élections municipales de 2020, 64 % des 18-24 ans ont choisi de ne pas se rendre aux urnes. Ces chiffres témoignent d’une fracture générationnelle dans la participation électorale.
Les jeunes Français ne sont pas les seuls à voter moins. Ce phénomène est observé dans d’autres démocraties occidentales. Au Royaume-Uni, par exemple, le taux de participation des jeunes aux élections générales de 2019 s’élevait à 47 %, selon une étude du Electoral Reform Society. Aux États-Unis, le taux de participation des 18-29 ans aux élections présidentielles de 2016 était de seulement 46 %, selon le Census Bureau américain. Ce désintérêt pour le vote semble ainsi refléter une tendance internationale de déconnexion entre les jeunes et les formes traditionnelles de participation politique.
Facteurs explicatifs du désengagement électoral
Plusieurs études ont tenté d’expliquer les raisons de ce désengagement électoral parmi les jeunes. L’INJEP (2021) identifie plusieurs facteurs récurrents : une méfiance vis-à-vis des institutions politiques, l’absence de représentation perçue dans les discours des candidats, et un sentiment d’impuissance face aux enjeux politiques. Une enquête du CEVIPOF (2020) a révélé que 57 % des jeunes considèrent que voter « ne change rien ».
La méfiance à l’égard des institutions politiques est particulièrement prononcée chez les jeunes issus des milieux populaires. Selon le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), les jeunes en situation de précarité sont deux fois plus susceptibles de s’abstenir que ceux issus de milieux plus favorisés. Ce phénomène s’explique par un sentiment de marginalisation et un manque de confiance dans la capacité des élus à répondre à leurs préoccupations, telles que la précarité économique, l’emploi, et l’accès au logement.
Un autre facteur important est l’émergence de problématiques globales, comme le changement climatique, qui ne trouvent pas de réponse satisfaisante dans les discours des partis traditionnels. Le Baromètre de la jeunesse de l'INJEP (2020) révèle que 63 % des jeunes considèrent le changement climatique comme une priorité politique, mais estiment que les partis ne sont pas à la hauteur pour y répondre. Cette déconnexion entre les préoccupations des jeunes et l’agenda politique traditionnel contribue au désintérêt pour les élections.
La crise des partis politiques et des syndicats
La baisse de la participation électorale s’accompagne d’une crise plus générale des institutions représentatives. Les partis politiques, autrefois principaux vecteurs de la participation politique, peinent à attirer les jeunes générations. Selon le Baromètre de la jeunesse (2021) de l'INJEP, seulement 5 % des jeunes de 18 à 29 ans sont membres d’un parti politique, et 70 % estiment que ces partis ne s'occupent pas de leurs intérêts.
Cette désaffection pour les partis politiques s'explique par plusieurs facteurs : la perception que les partis sont trop hiérarchisés et déconnectés des réalités sociales, la complexité bureaucratique, et un manque de réactivité face aux transformations sociales et environnementales. Les partis traditionnels sont perçus comme étant tournés vers le passé, incapables de répondre aux nouveaux défis auxquels les jeunes sont confrontés. Ce constat est partagé par l'ensemble des jeunes, toutes classes sociales confondues, bien que l’ampleur de la défiance soit plus marquée dans les milieux populaires.
Les syndicats, qui étaient historiquement des lieux d’engagement pour les jeunes travailleurs, connaissent eux aussi une crise d’adhésion. Selon le CEREQ, en 2020, seulement 8 % des jeunes actifs étaient syndiqués, contre 20 % dans les années 1980. Cette tendance s'explique par l’évolution du marché du travail : la précarité croissante des jeunes travailleurs, souvent embauchés sur des contrats courts ou dans des emplois atypiques, et le développement de l'économie des petits boulots, ont contribué à éloigner les jeunes des syndicats. De plus, la représentation des jeunes dans les instances syndicales est souvent perçue comme insuffisante, ce qui alimente leur sentiment de déconnexion avec ces organisations.
Les explications socioculturelles du désengagement
Le désengagement électoral et la défiance vis-à-vis des partis politiques trouvent aussi leurs racines dans des facteurs socioculturels plus larges. Une étude réalisée par l'INJEP en 2020 montre que le rapport à la citoyenneté a évolué chez les jeunes. Alors que les générations précédentes percevaient le vote comme un devoir civique incontournable, les jeunes d’aujourd’hui tendent à voir la citoyenneté sous un angle plus pragmatique. Ils privilégient les actions directes et concrètes qui ont un impact immédiat, comme les manifestations, les pétitions en ligne, ou les actions humanitaires. Cette évolution reflète un déplacement des valeurs, où la citoyenneté active ne se limite plus aux processus institutionnels, mais inclut des formes de participation plus souples et moins formalisées.
L’impact des réseaux sociaux et des médias numériques sur la perception de la politique est également un facteur clé. Les jeunes accèdent de plus en plus à l'information politique via les réseaux sociaux, où les débats sont souvent polarisés et simplifiés. Une enquête de l'INJEP en 2021 montre que 82 % des jeunes utilisent les réseaux sociaux pour s’informer sur des sujets politiques, mais seulement 45 % considèrent ces plateformes comme des sources fiables. Cette surexposition à des opinions fragmentées contribue à une perte de confiance dans les institutions politiques traditionnelles.
Les nouvelles formes d’engagement politique chez les jeunes
Les manifestations et les mouvements sociaux
Si les jeunes votent moins, ils sont de plus en plus présents dans les mouvements sociaux. Les manifestations sont devenues une forme privilégiée de participation politique, car elles permettent une expression collective directe et visible. Le mouvement Fridays for Future, initié par Greta Thunberg en 2018, a mobilisé des millions de jeunes dans le monde entier, y compris en France. Selon une enquête de l'INJEP réalisée en 2020, 55 % des jeunes Français de moins de 25 ans ont participé à des actions en faveur de la justice climatique.
Les mouvements sociaux en France, tels que les Gilets Jaunes ou les mobilisations contre la réforme des retraites, ont également vu une participation importante des jeunes. Une enquête menée par le CEVIPOF en 2021 révèle que 40 % des jeunes de moins de 30 ans ont participé à une manifestation au cours des deux dernières années. Ce chiffre témoigne de l’importance croissante des mouvements sociaux comme lieu d’engagement politique pour les jeunes.
Analyse des motivations derrière les mouvements sociaux
Les jeunes se tournent vers les manifestations car ils les perçoivent comme un moyen d’action plus direct et plus efficace que le vote. Selon une enquête de l'INJEP en 2021, 75 % des jeunes interrogés estiment que les manifestations sont un levier d'action politique plus puissant que le vote. Les manifestations offrent également un cadre d’engagement collectif où les jeunes peuvent exprimer leurs revendications sans passer par les institutions formelles. Cela est particulièrement vrai pour les causes environnementales, qui mobilisent une grande partie des jeunes Français.
En effet, la question climatique est devenue un enjeu central pour la jeunesse. Selon une étude menée par l'INJEP en 2020, 67 % des jeunes de 18 à 30 ans considèrent que la lutte contre le changement climatique est leur principale motivation politique. Cette mobilisation s’exprime à travers des actions locales, telles que la participation à des initiatives écologiques (comme le zéro déchet ou les jardins partagés), mais aussi à travers des actions plus globales, comme les grèves pour le climat ou les campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux.
Le militantisme en ligne et le rôle des réseaux sociaux
Le militantisme en ligne est une autre forme d’engagement politique en plein essor parmi les jeunes. Selon l'INJEP (2021), 82 % des jeunes utilisent les réseaux sociaux pour suivre et participer à des débats politiques. Les plateformes comme Twitter, Instagram, et TikTok permettent aux jeunes de s’engager dans des causes spécifiques, de partager leurs opinions, et de mobiliser leurs pairs.
Le militantisme en ligne se distingue par sa rapidité et sa capacité à mobiliser massivement des jeunes autour de causes transnationales. Par exemple, les campagnes en ligne pour la justice climatique ou les droits humains ont connu un succès retentissant, avec des millions de jeunes partageant des contenus, signant des pétitions, et participant à des actions virtuelles. Une étude du CEVIPOF (2021) révèle que 65 % des jeunes ayant participé à une campagne en ligne estiment que cette forme de participation est plus accessible et plus inclusive que les formes traditionnelles d'engagement politique.
Cependant, cette forme d’engagement pose des questions quant à sa durabilité et son efficacité. Le « slacktivisme » (ou activisme paresseux) est souvent critiqué pour son manque de résultats concrets. Une enquête de l'INJEP en 2020 montre que seulement 30 % des jeunes ayant partagé des contenus politiques en ligne ont ensuite participé à des actions physiques, comme des manifestations ou des réunions publiques. Ce phénomène soulève la question de savoir si l’engagement en ligne peut se traduire en actions concrètes ou s'il reste limité à des gestes symboliques.
Engagement humanitaire et environnemental
Outre les manifestations et le militantisme en ligne, de nombreux jeunes s'engagent dans des causes humanitaires et environnementales. Le Baromètre de la jeunesse de l'INJEP (2020) révèle que 64 % des jeunes de 18 à 29 ans participent à des actions bénévoles ou militantes, souvent en lien avec des associations ou des ONG. Cet engagement humanitaire est perçu par les jeunes comme une manière plus directe et plus concrète d’agir pour le bien commun.
Les jeunes sont particulièrement investis dans les causes environnementales. Le mouvement des Zones à défendre (ZAD), qui a vu le jour en France au début des années 2010, est un exemple emblématique de cette mobilisation. Les jeunes militants écologistes se sont organisés pour défendre des territoires contre des projets jugés néfastes pour l'environnement, comme l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ce type d’engagement reflète une volonté de s’impliquer dans des actions locales, tout en s'inscrivant dans un mouvement global pour la justice environnementale.
Vers une redéfinition de la participation politique
Une citoyenneté redéfinie
Les nouvelles formes de participation politique chez les jeunes conduisent à une redéfinition de la citoyenneté. Alors que la citoyenneté traditionnelle était souvent liée à des droits et devoirs civiques formels, comme le vote, la citoyenneté des jeunes s’exprime désormais à travers des actions plus directes et plus concrètes. Une enquête de l'INJEP en 2021 montre que 72 % des jeunes considèrent que participer à une manifestation, signer une pétition en ligne, ou s’engager dans une cause humanitaire sont des formes de citoyenneté tout aussi légitimes que le vote.
Cette redéfinition de la citoyenneté reflète une volonté des jeunes de s’engager dans des actions ayant un impact immédiat et tangible. Contrairement aux processus électoraux, perçus comme trop longs et inefficaces, les nouvelles formes d’engagement permettent aux jeunes d'agir directement sur les enjeux qui les concernent, qu’il s’agisse de l’environnement, des droits humains, ou de la justice sociale.
Les institutions face aux nouvelles formes de participation
Face à cette transformation de la participation politique, les institutions politiques doivent s’adapter. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publié en 2021 recommande la mise en place de nouvelles formes de participation citoyenne, telles que des consultations publiques régulières, des plateformes numériques permettant aux jeunes de contribuer directement aux décisions politiques, ou encore la création de conseils citoyens composés de jeunes.
Cependant, ces initiatives peinent à réconcilier les jeunes avec la politique institutionnelle. Une enquête de l'INJEP en 2020 montre que 58 % des jeunes estiment que ces nouvelles formes de participation sont insuffisantes pour répondre aux enjeux contemporains. Ils appellent à une transformation plus radicale des institutions politiques, en faveur d'une démocratie plus participative et plus horizontale. Certains jeunes militent par exemple pour l'abaissement de l'âge de vote à 16 ans, tandis que d'autres plaident pour une démocratie plus délibérative, où les citoyens seraient consultés plus régulièrement sur des questions clés.
Conclusion
La participation politique des jeunes en France connaît une transformation profonde. Si les formes traditionnelles de participation, comme le vote ou l’adhésion à un parti politique, déclinent, de nouvelles formes d’engagement ont émergé, telles que les manifestations, le militantisme en ligne, ou l’engagement dans des causes humanitaires et environnementales. Ces nouvelles formes de participation traduisent une redéfinition de la citoyenneté, où l’action directe et locale prend le pas sur les processus institutionnels.
Les institutions politiques doivent désormais reconnaître et intégrer ces nouvelles pratiques dans le cadre démocratique. Cela passe par la création de nouvelles plateformes de participation citoyenne, mais aussi par une refonte plus profonde des structures politiques, afin de mieux représenter et impliquer les jeunes. Seule une telle transformation pourra réconcilier les jeunes avec les formes traditionnelles de participation politique et redonner du sens à leur citoyenneté.
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