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La promesse d’égalité en question : analyse du rapport de la Cour des comptes sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap

  • matthieuclzd
  • 17 sept. 2024
  • 6 min de lecture

Le pari de l’égalité éducative

L’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap est une ambition profondément ancrée dans le système éducatif français, inscrite dans la loi depuis 2005. Si des progrès sont indéniables, le rapport de la Cour des comptes de septembre 2024 met en lumière les défis encore présents. Avec plus de 478 000 élèves scolarisés en 2023, contre 118 000 en 2006, la progression quantitative est frappante. Cependant, comme l’indique le rapport, cette « école inclusive » reste encore partiellement une utopie. Malgré les efforts budgétaires, la mise en œuvre concrète de cette politique est entravée par des disparités territoriales, des incohérences institutionnelles, et une gouvernance partagée encore trop souvent défaillante.


Le présent article se propose de se pencher en détails sur les constats de la Cour des comptes, en analysant les réussites et les limites de cette politique publique, tout en développant des recommandations issues de ce rapport.


Un cadre législatif fort, mais une application inégale

L’une des forces de la politique d’inclusion scolaire est indéniablement son cadre législatif. Depuis la loi du 11 février 2005, l’Éducation nationale est tenue d’accueillir tout enfant, quel que soit son handicap, dans les écoles ordinaires. Pourtant, comme le souligne la Cour des comptes, l’application de cette loi reste profondément inégale sur le territoire. Certaines régions ont su mettre en place des dispositifs d’accompagnement efficaces, tandis que d’autres peinent à rattraper leur retard. Ce déséquilibre est notamment lié à la capacité des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) à évaluer les besoins des élèves et à articuler leur action avec les DSDEN (Directions des Services Départementaux de l’Éducation Nationale).


La Cour des comptes observe avec justesse que les pratiques varient considérablement d’une académie à une autre. Le rapport critique ainsi l’absence d’une véritable harmonisation des pratiques entre ces acteurs, menant à des situations où certains élèves ne bénéficient pas des aides et équipements dont ils auraient besoin pour être scolarisés dans de bonnes conditions .


Des progrès visibles, mais insuffisants

En matière de ressources, l’État n’a pas été en reste. Le budget dédié à l’école inclusive a doublé entre 2017 et 2024, passant de 2,2 milliards d’euros à 4,4 milliards . Cette augmentation budgétaire a permis notamment de renforcer les effectifs des Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH). Ces derniers, au nombre de 86 502 équivalents temps plein (ETP) à la rentrée 2024, jouent un rôle essentiel dans l’intégration des élèves en situation de handicap. Toutefois, la Cour des comptes dénonce un encadrement insuffisant des AESH et une gestion des ressources humaines parfois chaotique. Ces accompagnants sont souvent soumis à des contrats précaires et reçoivent une formation inadéquate pour répondre pleinement aux besoins des élèves. Le rapport souligne avec pertinence qu’une meilleure gestion de ces ressources humaines est indispensable si l’on souhaite garantir une qualité de prise en charge homogène sur tout le territoire.


Des AESH au cœur de l’inclusion : entre précarité et nécessité d’une meilleure formation

Le rôle des AESH est central dans l’inclusion scolaire, mais leur situation professionnelle reste préoccupante. Comme le mentionne le rapport, leur précarité constitue un véritable frein à leur investissement à long terme dans les écoles. La Cour appelle ainsi à une “structuration renforcée” de la gestion des AESH, avec une meilleure reconnaissance de leur travail et une formation plus adaptée dès leur prise de poste . De fait, si l’accompagnement des élèves handicapés est souvent laissé aux mains de personnels peu ou mal formés, la qualité de l’inclusion ne pourra jamais atteindre les standards escomptés.


Il est également essentiel de rappeler que les AESH sont les interlocuteurs privilégiés des enseignants. Une coopération renforcée entre ces deux groupes professionnels est nécessaire pour construire une “culture commune de travail”, un concept qui revient à plusieurs reprises dans le rapport. Le manque de formation conjointe entre les AESH et les enseignants est dénoncé par la Cour comme un obstacle majeur à une inclusion réussie.


La nécessaire coopération entre le secteur médico-social et le milieu scolaire

L’un des grands axes de réflexion du rapport porte sur la collaboration entre l’Éducation nationale et le secteur médico-social. Cette coopération, pourtant cruciale pour une prise en charge globale des élèves en situation de handicape, reste insuffisante, voire inexistante dans certaines régions. Les UEE (Unités d’Enseignement Externalisées) apparaissent ici comme un modèle à suivre pour répondre aux besoins des élèves en situation de handicap tout en leur permettant de bénéficier d’un environnement scolaire ordinaire .


Les UEE, qui permettent à des équipes médico-sociales d’intervenir directement dans les écoles ordinaires, sont un exemple concret de la synergie entre ces deux secteurs. La Cour des comptes encourage leur développement à grande échelle, tout en soulignant les bénéfices multiples qu’elles apportent : une prise en charge plus adaptée, une réduction des ruptures de parcours et une meilleure intégration des élèves. Il s’agit là d’une piste d’avenir prometteuse pour l’inclusion scolaire, à condition que les moyens financiers et humains suivent.


Cependant, la généralisation des UEE nécessite une refonte du cadre juridique encadrant la coopération entre le secteur médico-social et l’Éducation nationale. La Cour des comptes recommande ainsi la création d’une gouvernance unique pour assurer une gestion coordonnée de ces dispositifs et une mobilisation optimale des ressources disponibles .


Une école inclusive, mais à quel prix ?

Le rapport critique également la lenteur des avancées sur le terrain, notamment en ce qui concerne les équipements et matériels pédagogiques adaptés aux besoins des élèves en situation de handicap. Malgré les 25 millions d’euros alloués pour 2024 dans ce cadre, la Cour des comptes souligne que les procédures d’acquisition de ces équipements restent trop complexes et peu flexibles . De nombreuses familles se retrouvent ainsi dans l’incapacité de bénéficier des ressources nécessaires pour leur enfant.


Un autre point majeur concerne la formation des enseignants. Si la sensibilité des personnels éducatifs à la question de l’inclusion a progressé, la Cour des comptes déplore une formation initiale encore insuffisante. Les enseignants reçoivent aujourd’hui un module de 25 heures consacré à la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers. Cependant, cela ne suffit pas à les préparer aux défis qu’implique l’inclusion d’élèves en situation de handicape dans des classes ordinaires. La recommandation de la Cour est claire : renforcer les dispositifs de formation continue et initiale pour permettre aux enseignants d’adapter leurs pratiques pédagogiques et de travailler plus efficacement en collaboration avec les AESH.


Des recommandations pour une école réellement inclusive

La Cour des comptes formule plusieurs recommandations pour améliorer l’inclusion scolaire, dont voici les principales :

  1. Assurer le déploiement complet du Livret Parcours Inclusif (LPI) d’ici la rentrée 2025. Ce livret, qui centralise toutes les informations relatives aux parcours des élèves, doit être accessible à l’ensemble des professionnels concernés et interopérable avec les systèmes d’information des MDPH .

  2. Renforcer la formation initiale et continue des enseignants : la Cour appelle à une augmentation significative des heures de formation consacrées aux besoins éducatifs particuliers, ainsi qu’à une multiplication des modules inter-métiers (enseignants, AESH, personnels médico-sociaux) .

  3. Améliorer l’attractivité des certifications spécialisées, comme le CAPPEI (Certificat d’Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l’Éducation Inclusive), afin de former davantage d’enseignants spécialisés et mieux répondre aux besoins des élèves en situation de handicape.

  4. Développer les UEE à grande échelle : la Cour insiste sur l’importance de généraliser ces unités d’enseignement externalisées qui permettent une prise en charge adaptée et une meilleure inclusion des élèves en milieu ordinaire .

  5. Accélérer les procédures d’acquisition de matériels pédagogiques adaptés : un groupe de travail est actuellement chargé de simplifier ces procédures, mais des efforts supplémentaires doivent être consentis pour que chaque élève puisse bénéficier du matériel nécessaire à sa scolarisation .


Une école inclusive, un défi atteignable ?

En conclusion, bien que des progrès notables aient été réalisés depuis 2017, l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap reste un chantier inachevé. Le rapport de la Cour des comptes offre une analyse pertinente des défis à relever et des solutions envisageables. La coopération entre le secteur scolaire et médico-social, la meilleure formation des enseignants et AESH, ainsi que le développement des UEE sont des pistes prometteuses pour une inclusion réussie. Cependant, cela nécessitera des investissements conséquents, tant en termes de ressources humaines que financières.


L’école inclusive ne peut être atteinte sans une véritable transformation structurelle, portée par une vision holistique de l’éducation, où chaque enfant, quelle que soit sa situation, trouve sa place et peut s’épanouir. L’inclusion n’est pas simplement une question d’égalité formelle, elle doit être une véritable culture d’acceptation et de soutien, intégrant les besoins spécifiques de chaque élève dans la conception même des pratiques éducatives. Cette approche exige une mobilisation collective, impliquant non seulement les établissements scolaires mais aussi les familles, les collectivités locales et les acteurs du secteur médico-social. Seule une telle dynamique pourra garantir que chaque enfant, quelle que soit sa situation, bénéficie d’une éducation adaptée et respectueuse de ses besoins, permettant ainsi à l’école de remplir pleinement sa mission d’inclusion et d’égalité des chances.

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